Yanick NOISEUX et Fernando J. PIRES

Dix ans après la parution de Nickel and Dimed : On (Not) Getting By in America de Barbara Ehrenreich, le phénomène de la pauvreté en emploi se présente désormais comme une réalité structurelle et multidimensionnelle qui interroge les mécanismes traditionnels de régulation des rapports sociaux dans le capitalisme avancé. Il doit être saisi sur le plan
analytique à la fois dans ses liens et dans ses interactions avec les mutations du marché du travail et des statuts d’emploi, les transformations des politiques publiques – y compris les politiques migratoires et les mécanismes traditionnels de la protection sociale – ainsi qu’avec la division sexuelle du travail et les stratégies d’entreprises.

Qui sont les travailleurs et travailleuses pauvres dans un capitalisme du 21e siècle qui concourt à la centrifugation de l’emploi vers les marchés périphériques du travail et à la prolifération de la pauvreté en emploi? De manière concomitante à la précarisation, identifie-t-on une tendance à l’informalisation, non seulement dans les marchés périphériques du travail, mais aussi au cœur du système productif, suscitée notamment,
mais pas uniquement, par des interventions des États sur les flux migratoires? Quelles sont les conditions de vie de ces personnes oubliées de la « croissance »? Quels sont les liens entre l’évolution de la pauvreté en emploi et celle des politiques publiques, qu’elles soient « sociales » ou « économiques »? En quoi les différentes formes de pauvreté en emploi et
leur évolution sont-elles révélatrices de l’évolution des rapports sociaux, notamment les rapports de genre, de classe et de « race »? Quel éclairage une définition extensive du travail (dont le travail informel, non libre, non rémunéré, domestique et de soins aux personnes) apporte-t-elle à l’analyse des dynamiques structurelles qui sous-tendent la pauvreté en emploi? Comment le mouvement syndical structure-t-il sa réponse aux
revendications portées par des travailleurs et des travailleuses pauvres? Enfin, dans quelle mesure l’inscription – et le positionnement – des économies nationales dans un capitalisme globalisé affecte-t-elle ces reconfigurations? Telles sont les questions qui ont inspiré ce
numéro thématique de la Revue multidisciplinaire sur l’emploi, le syndicalisme et le travail (REMEST) et auxquelles ses sept articles cherchent à répondre.